JUNK DNA 001
[La date est illisible] Approche toi  !

 

Je n'ouvrais plus de livres, déçu par la surabondance de publications vides de sens. Elles auraient pu être écrites pour des raisons aussi ordinaires que se remplir le ventre cela n'aurait pas été si grave, autrefois de nombreux écrivains payés au mot avaient réussit à écrire des merveilles. Hélas il semblait qu'il s'agissait désormais principalement de se faire reluire l'ego avec un numéro de caniche savant  : être capable d'écrire même si l'on a rien à dire. Peut-être que la société du spectacle avait complètement pris possession du marché de la littérature, depuis que le summum de la gloire, pour un écrivain, était de voir ses romans adaptés en films. Ou bien c'était juste l'état d'esprit qui avait changé :

En gros, on était passé du mode manger pour vivre, à vivre pour manger.


Lors de ma dernière tentative, je n'avais pas même ouvert un bouquin, juste téléchargé un livre numérique sur mon terminal. A peine un coup d’œil avait suffit à me convaincre, que sa seule qualité était d'être comme ces séries dont l'unique intérêt est de nous accrocher en devenant des repères familiers.


Revoir nos vies déformées dans le faisceau de la fiction, sous forme de doses standardisés, pour vivre nos passions par procuration... On éteint nos joies et nos espoirs dans leurs fausses réalisations.


Alors me voilà collé à l'écran à relire les romans du siècle dernier, pour enfin me retrouver connecté au flux des pensées. Les yeux larmoyants, qui s'inventent des prétextes, pour ne pas résister à tourner la page, enfin, cliquer sur le curseur de défilement de l'ascenseur, voir jusqu'où nous mènera cette main fantôme.

Découvrir, si à l'arrivée, ce n'est pas nous les fantômes ?


L'addiction à la lecture est un luxe, quand le temps est compté, qui termine dans les cabinets.


Je préférais écrire dans mon coin.


Planter des graines d'idées dans le crane du public.


Chercher, comment l'espace et le temps, à l'intérieur d'un récit s'annihilent, pour laisser place à la dimension fragile, celle que pressent la lectrice ou le lecteur, au moment, où la convention fait son œuvre et que l'histoire devient plus réelle, que le simulacre de la vie autours.


Une porte qui claque, une fenêtre brisée, un mur qui achève de s'effondrer.

Ce sont les vagues d'actions qui ponctuent la lente réflexion, l'incessant questionnement de la quête existentielle, le mariage alchimique d'Eros et de Thanatos.

Sans elles la monotonie du propos  ;

qu'est ce qui n'a pas encore été écrit  ?

entraînerait la torpeur, jusqu'au sommeil de la conscience.


J'écris pour raviver la mémoire, me souvenir de ce qu'est la vie.


Le symbole de la batterie, en bas à droite de l'écran, est peu à peu devenu comme ce carillon des histoires pour enfants d'autrefois.


JUNK DNA 002
0. Formatant les vieux disques durs pour trouver la paix.

 

Je sais qu'un jour on me réveillera et on me dira :

Vous êtes resté plongé dans le coma durant quelques années. Vos enfants pourraient être à présent vos parents. Ceux et celles que vous avez connues n'existent plus. Vous même n'allez peut être pas vous reconnaître... Vous êtes comme un ordinateur resté trop longtemps débranché, votre système devenu complètement obsolète a été remplacé, mais il y a peu de chance pour que votre processeur tienne le coup.


Je croyais que j'allais vivre et je me surprend encore sur le point de mourir, un rire toujours plus amer qui coule au coin des lèvres.


On peut deviner qu'on rêve, ce n'est pas pour autant qu'on saura avec certitude, si un jour on est réveillé.


JUNK DNA 003
[La date n'est pas inscrite] Accroche toi  !

Quelles promesses faire miroiter, pour accrocher ton attention  ? Pour te pousser, à poursuivre ton chemin avec moi, à prendre le temps d'être improductif...


Je pourrais te dire, qu'à l'autre extrémité, celui qui écrit s'est regardé dans un miroir et il ne s'est pas reconnu. Il te voyait, tu n'étais plus genré, tu ne portais plus d'étiquette, ne tenais dans aucune case, tu n'étais plus caractérisé par autre chose que cet état, qui n'est qu'une étape de la transformation de la larve en papillon.

Pourtant, est-ce que l'ont devient vraiment un papillon, n'est ce pas juste une autre étape, une transition de plus ?

En définitive, est-ce qu'elles ne sont pas qu'une accroche de l'Anarrateur pour nous pousser à vivre ?

Je pourrais te dire, que l'être qu'il voyait avait goutté la liberté et en redemandait.

Je pourrais sonder tes désirs les plus secrets et te laisser supposer qu'ils seraient comblés par ce que je m'apprête à raconter.


Mais, ce serait injuste, d'appliquer les méthodes qui m'écœurent partout ailleurs.


Las de mes jeux savants d'éternel enfant qui s'amuserait volontiers à prétendre faire un contrat tacite d'humain à humain, du genre :

- Comme je te donne entièrement ma confiance, comme je présuppose ton intelligence, ton esprit critique, ta capacité à évoluer, de même je t'invite à avoir confiance en moi, à passer outre que ma came n'a pas l'air assez ordinaire, pour ne pas être dangereuse, au point que je pourrais sans doute au détour du chemin te promettre la mort, tant bien même soit elle symbolique... Et t’amener à découvrir par inadvertance, noyée sous le flot d'un propos obscurément abscon, la délivrance de toute dépendance, signifiée par une simple question : Est-ce que s'affranchir du temps n'est pas simplement sortir de la roue ?


Je préfère te laisser libre  :

Il n'y a aucune raison valable de poursuivre la lecture de Junk DNA.

Ce que tu y trouveras n'a aucune utilité... autre que celles que tu pourrais imaginer.

En plus tu pourrais bien mieux que moi écrire la vie, réunir toutes ses scories et les jeter pèle mêle en pâture à quiconque cherche un sens, une signification dans la folie des écrits, trop habitué à l'excès de sérieux de certains écrivains.


C'est l'occasion de faire quelque chose, qui ne soit pas une action/réaction, qui ne soit pas la résultant d'une analyse, mais mue par ton ressentir, réaliser un choix véritable.


Je n'en dis pas plus, après tu verras bien, par toi même, le genre de merveilles que l'on découvre, quand pour un temps indéterminé, on jouit enfin du libre arbitre.


Bonne chance à toi.


Nietchevo,


JUNK DNA 004
I. Chevauchant les Anamorphes au-delà de la vitesse de la lumière.

 

Pieds nus, martelant l'asphalte, les chaussures à la main. Sans pouvoir me souvenir quand exactement cela avait commencé. La gorge saturée par le goût de sang qui advient quand on demande aux poumons un effort surhumain prolongé. Le corps entier vibrant comme prêt à exploser . Trois ou quatre jours au moins que je marchais sans m'arrêter, suivant de mon mieux les indications transmises par les signes. Comme si c'était un nouvelle forme de vie. Cela faisait longtemps que j'avais dépassé le moment où au-delà de mes limites d'énergie mon cerveau décollait doucement telle une méduse qui prend son envol confondant l'air et l’océan.


Même sans les Anamorphes je serai dans un état terrible. Pourtant loin de ralentir j’accélérai constamment. Là ou les renforts de mes chaussures avaient frottés les ampoules éclatées avaient laisser mes pieds en sang. Sur l'affichage LED d'une vitrine j'avais aperçu qu'il ne me restait que quelques minutes. Je manquais cruellement d'eau, mais j'allais toujours plus vite. La haut sur l'horloge de la cathédrale minuit trente était passé depuis un bon quart d'heure et toujours pas de bouche d'entrée de métro. Même s'il était un peu en retard le dernier métro devais être déjà parti. Redoutant de l'entendre filer au loin dans le tunnel quand j'arriverais, je continuai de courir plus vite encore.


Je ne sais pas si ce sont la lecture des signes qui me l'avait révélé où cette voix dans ma tête qui tentait désespérément de m'aider. Mais je savais que si je parvenais à accélérer encore je finirai par créer une singularité. Mon corps n'étais plus qu'un concept insensé, la douleur avait chassé mon esprit, il ne restait qu'une sorte de pulsation nerveuse accordée au rythme de ma volonté, qui ressuscitait chaque instant depuis une éternité, battement fou qui se mêlait à l'implacable martèlement de mes pieds.


En suspend d'un point de l'espace à un autre, ma respiration s'étirant indéfiniment, je sens affleurer la prochaine étape, je plonge sur ma droite dans le refuge d'une cabine de toilettes publiques. Je sais qu'à l’intérieur je ne suis pas décelable par le mécanisme, c'est à dire que si je rentre dedans cela n'affectera pas l’accélération nécessaire au miracle. A peine l'entrée franchise j'angoisse, espérant que ce n’était pas un piège pour me faire échouer. Ce qui flotte dans mes pensées à ce moment là ne peut pas être transcrit. Il y a un effet bizarre, une sorte d’écho qui devient comme une fleur de lotus s'épanouissant, la raison n'a plus lieu d'être, je sens une transformation en œuvre en moi et à l’extérieur. Intimement je sais qu'un anamorphe à manger ma pomme.


Je sors courant comme si je ne m'étais pas arrêter, me raccrochant à mon exacte trajectoire. Presque aussitôt dans le flux dilaté du temps je vois l'escalier qui descend dans le métro, je vole littéralement, posant à peine mes pieds sur les arrêtes des marches. En bas sur le panneau d'affichage, il n'est pas encore minuit. Je sais que ce n'est pas possible, pourtant j'ai la certitude que je viens de remonter une heure dans le temps.


JUNK DNA 005
[16/02/1978] Annonce la couleur.

 

Parler-vrai, c'est dire qu'il y a une guerre sans pitié des conformistes pour exterminer chaque être vivant librement.

Toutes les religions sont des fléaux, leur responsabilité dans l'abrutissement du monde est terrible. Elles ont volés la lumière à l'humanité pour en faire leur fond de commerce, la source de leur pouvoir. Ce n'est pas parce que des terroristes essaient de légitimer leurs massacres grâce à elles qu'il faut confondre les croyants avec ces extrémistes. Mais ce n'est pas une raison pour prendre la défense des religions, elles ont leur part de responsabilité. Dans un monde sans religion, la spiritualité serait vivante.


Est-ce que les croyants qui les suivent et ainsi condamnent la spiritualité à rester leur propriété sont pire que les religions ?


De toute façon le grand secret qu'elles essayent de cacher est : la révélation que chacun de nous est un dieu.


On peut le devenir par accident ou en expérimentant la vie, en apprenant à ressentir et aimer.


L'autre grand secret des religions est : le pouvoir de créer ou comment faire des miracles.


Et les Anamorphes ce sont ces instants de syncronicité, qui, quand on les accumule deviennent comme des aimants, attirant toujours plus de syncronicité, jusqu'à pouvoir surfer littéralement dessus, vivre sa vie comme dans un rêve éveillé, à la manière de Gérard Nerval, Philip K Dick, William S Burroughs ou d'autres apprentis chamanes moins casse-cou peut être, tel Alejandro Jodorowsky.


Troisième grand secret, car ils vont toujours par trois : le temps n'existe pas.


J'ai pris soin de dater chacune de mes entrées dans ce journal, ce qui pourrait lui donner des airs de version fictionnelle du rapport Akashique... Pourtant aucune de ces dates n'a d'importance, elles ont été générées aléatoirement.


Voila qui donne le ton, si tu veux poursuivre ta lecture, tu devras te passer d’argumentaire et douter de chaque affirmation, tu ne pourras pas suivre ceci comme un divertissement spectaculaire.


Dans une société construite sur le mensonge, une histoire vrai ce n'est que la fiction en laquelle le plus grand nombre croit.


On ne peut pas faire des omelettes volantes sans casser l’œil de la réalité.


Le consumérisme est devenu la pire des religions.


JUNK DNA 006
II. A l'article de la mort.

Dans la rame du métro, je m'affale, les gens me regardent un peu de travers. Je reste dans mon coin, au bout, assis sur le sol, les jambes étendues. Un personne s'approche même pour me demander si ça va. Je la rassure comme je peux. Je prétend juste avoir une bonne fièvre. C'est vrai que je dois avoir une tête impressionnante, avec ma barbe drue, mes cheveux fous et mes yeux brûlants. Deux arrêts plus loin, deux gars en uniforme entrent dans la rame et me demandent de sortir sur le quai.


- Pourquoi ? J'ai rien fait. J'ai bien passé ma carte. Je leur tend ma carte comme preuve de ma bonne foi, mais ils insistent.

- Non, je peux pas, après je risque de rester bloqué, de plus avoir de métro pour pouvoir rentrer.

- Quelqu'un a téléphoné. On doit juste s'assurer que vous allez bien, venez.

- Oui et bien ça va très bien, j'ai pas besoin de sortir de la rame.

Dans la rame, plongés dans leur cellulaire, la plupart des gens font mine de ne pas voir ce qui se déroule sous leur yeux.


- Si vous préférez on peut aussi vous emmener au poste ?

- Nan met ça va pas ? Vous arrêtez ! Je suis épuisé, je veux juste rentrer chez moi.

- Allez dépêche toi ! On n'a pas que ça à faire.

Le second qui est un peu en retrait crispe sa main sur son Tazer histoire de me faire comprendre de ne pas résister.


- Bon d'accord, si tu le prends comme ça, tu vas venir nous montrer tes papiers...

Ils m'agrippent chacun par un bras pour me traîner de force hors de la rame.

Même si en théorie je suis en règle, je reste un immigré, un sous citoyen, du coup j'ai la peur qui me tord les boyaux.

En plus leur réaction me parait excessive, je me demande si ce n'est pas une conséquence de mon "miracle" de tout à l'heure.


Sur le quai, avec le stress je galère pour trouver mon passeport dans les poches de ma parka.

Je leur donne enfin. Pendant que l'autre transmet mon identité à leur QG, le plus excité continue de s'acharner et me fait vider entièrement toutes mes poches, sans doute histoire d'être sûr que je rate le prochain métro.

- Nietchevo c'est de quelle origine ? Tu carburerais pas au krokodile ou aux anamorphes ?

- Quoi ?


- Les gars comme toi on les connaît, aucune éducation, tu crois que c'est correcte de se vautrer comme ça par terre?

- C'est abusé, je gênais personne. Je vous ai dit je suis malade et je savais pas que c'était interdit de s'allonger. Je l'aurais pas fait sinon.

Déjà que je n'en menais pas large en attendant la réponse du QG, il faut que ce connard se sente obligé d'essayé de me faire craquer.

Si ça dégénère, je ne connais même pas le numéro de téléphone de mes colocataires.


Heureusement l'autre revient et dit à son collègue que je suis bien en règle.

- Je vous l'avais bien dit... Super et maintenant je vais faire comment pour rentrer ?

- Ecoute nous autre on fait que notre job, tu peux t'en prendre qu'à toi mon gars.

Je comprends, j'en ai pas après vous, c'est juste cette société de flippés que je supporte plus et surtout les vrais responsables ces politiciens qui maintiennent la population dans la terreur. Mais sérieusement vous croyez que c'est votre job de mettre la pression à des personnes innocentes ?


Je m'apprête à partir, mais l'autre énervé m'apostrophe encore. On dirait qu'il n'a pas apprécié ma dernière remarque, il insiste pour me forcer à dire que je ne me rallongerai pas.

- Mais je vous ai déjà dis que si j'avais su je ne me serai pas allongé.

- Tu comprends pas ? Tu dis que tu ne te rallongeras pas ou on te laisse pas repartir.

- Oui... d'accord je ne me rallongerai pas.

Je te préviens joue pas au plus malin où les opérateurs des cameras de surveillance vont t'envoyer une autre patrouille.

C'est bon j'ai eu mon compte... j'évite de répondre.

Quand ils finissent par me foutre la paix, je suis encore en état de choc, pas qu'ils aient été si violent que ça, c'est juste l'oppression généralisée : on dirait qu'il y a nulle part pour être à l'abris de l'arbitraire des chiens du pouvoir.


Je vais voir le panneau d'affichage. Coup de chance dans mon malheur, il reste encore un métro qui passe dans 12 minutes.

J'essaye de trouver un espace qui ne soit pas balayé par ces saletés de caméras pour me poser. Je murmure : "dans tes rêves..." comme pour me répondre à moi même, puis finalement je me cale sur un banc en attendant. La texture du sol n'a pas l'air constante, c'est comme si une sorte de flux le faisait onduler légèrement.

En faite, j'ai les yeux qui se trouble sous les larmes d'épuisement, quel monde de merde avec tous ces sadiques en uniforme qui passent leur vie à nous pourrir la vie.

Je suis complètement claqué, des spasmes d'élancement douloureux me signalent que mes sensations corporelles reviennent.

Au moins ça m'aide un peu à me retenir de m'endormir.


Quand les portes automatiques s'ouvrent, je m'engouffre rapidement, mon esprit déjà dans le refuge paisible de mon lit.

Cette fois il y a des sièges de libres, je m'effondre dans le plus proche.

Je voudrais dormir, mais c'est encore trop tot, si jamais je rate ma station je vais galérer grave.

Après que le métro est redémarré, le silence qu'il y avait en arrivant, éveille mon attention, je regarde à la ronde et je découvre que la rame est déserte.

Ce n'est pas courant, même si elle n'est souvent pas bondé comme aux heures de pointes, d'habitude il y a toujours quelques traînards.


Quasi juste devant mon nez sur la vitre au milieu de la rame, mon regard est attiré par un panneau avec du texte défilant qui fait la publicité pour des tests de médocs.

C'est la première fois que je vois de la pub sur écran LED à l'intérieur d'une rame !

J’attends que l'info repasse une seconde fois... j'ai du mal à croire en cette aubaine, mais j'ai bien lu correctement :

Le laboratoire propose plus de 5000 dollars pour participer à une étude pour personnes souffrant de dépression !


JUNK DNA 007
[20/05/1979] La revanche de la spirale ou le nombril en feu.


«  Il faut n'avoir jamais marché pour croire que l'on puisse faire un faux pas.» Robo Meyrat.


L'imperfection comme mètre étalon, dans la théorie des erreurs, toute chose devient vrai par sa répétition, en quelque sorte une musique expérimentale de l'âme.


A la manière d'un Dilletante, apprenant non seulement des erreurs, mais encore en en faisant la matière première de notre création.


On fait tourner le bâton magique de plus en plus vite et le feu jailli, état de transe jusqu'à la conscience éveillée.


Ainsi tu peux t'attendre à l'image de la spirale que l'on s’éloigne inexorablement du nombril de Nietchevo.


Assis face à l’abîme, un miroir rond sertit dans un soleil en osier dont les rayons font la forme d'une étoile. Je lève mon verre à moitié plein de liqueur d'épicéa artisanale à la santé de l'homme que je ne reconnais pas, mais qui m'observe à l'intérieur. Je l'imagine trop bien, près à céder à l'envie de me bassiner avec un discours vaseux du genre  :

- C'est sûr que d'un point de vue extérieur, cela peut paraître un peu artificielle comme posture,

mais qui m'aurait cru, si j'avais écrit la véritable scène, où je m'adressais à mon nombril en feu, tout en soufflant dessus entre chaque phrase.

Souvent la réalité dépasse la fiction, pour écrire, il est alors nécessaire d'utiliser ce genre de trucages, tels les bruiteurs de cinéma,

qui recomposaient un son adapté au conditionnement du public pour obtenir un résultat "réaliste".


Alors pour ne pas courir le risque qu'il m’entraîne dans son interminable bavardage sénile et redondant sur la nature de la réalité, j'entrepris de lui raconter mon rêve de cette nuit :


- J'étais encore enfant, grimpant, escaladant des rochers blancs, qui formaient un chemin qui s'élevait dans la montagne. Le temps passait comme dans les rêves, je me voyais grandir à vu d’œil, mais les roches ne semblaient pas plus petites en proportion.


Ébranlé par des tremblements, le chemin changeait se reconfigurant continuellement. Bientôt, je me rendis compte que j'étais seul sur l'arrête dorsale d'une gigantesque créature. Si grande que sa peau couvrait peut être toute la surface de la terre !


J'ai sauté en bas des rochers. J'ai courus dans l'herbe. Délicieux contacts des langues végétales humides pour mes pieds qui n'avait jamais connu que la roche rêche.


D'abord je me sentis perdu. Je n'avais plus le repère immuable de la coulée de roche. Je ne savais pas où aller, le monde me paraissait si vaste. Mais peu après, j'appris à me diriger.

Décelant mon chemin à travers chaque configuration, j'apprenais à me fier à mon cœur. Telle région luxuriante m'apportait la beauté sauvage de la vie, le reflet de l'énergie intérieure. Telle autre ruisselante instaurait en moi la paix de celui qui remonte le courant, mais connais déjà la source au simple contact de l'eau.


Je découvrais le domaine des intuitions, toute chose est multiple, les antagonismes ne sont que des facettes, dès lors choisir n'est pas simple. Tenir le soleil dans sa main et laisser un rayon être guide. L'intuition agit comme un protecteur qui veille sur nous depuis notre subconscient.


J'écoutais les cris des animaux et les paroles des gens, le bruissement des arbres. Enfin goutter la liberté de l'existence, quand l'assurance de mes pas fut devenue la seule route.


Plus loin dans le rêve je retrouvais Moloch. Je ne sais pas comment je l'avais appris, mais le monstre s'appelait Moloch. Comme celui qui tourmentait Allen Ginsberg,

l'incarnation du système qui exigeait en sacrifice l'humanité entière. Depuis qu'il recouvrait le monde il était devenu comme ce dragon dans Bilbo le Hobbit, gardant hors de porté pour le commun des mortels, ce trésor qu'est la vie. Seulement lui, ne pouvait pas me voir, car j'étais une des pièces de son trésor, roulant sur ma tranche sans jamais tomber d'un coté...


Je ne me rappelle pas la fin du rêve, mais pour celui qui est dans le miroir et qui a de l'imagination, elle ne devrait pas être dure à inventer.

 

 

JUNK DNA 008
III. De retour dans mon nouveau tombeau.

 

Pour un logement en collocation, c'est plutôt à l'opposé de ce qu'on imagine, zéro vie collective, c'est pas faute d'avoir essayé.

En tous cas je suis tranquille, trop tranquille même, on dirait un tombeau. Peut être que la véritable fonction d'un appartement est de recueillir la dépouille d'un mort qui s'imagine vivre. Dans ce cas la, ici ce serait plutôt une fosse commune. Ma chambre souterraine est presque indépendante, on entre par la terrasse arrière en descendant un escalier de bois. Il n'y a pas de fenêtre, juste une fine porte blanche qui donne sur le reste du sous sol. Dont la salle de bain que je partage avec Marco l'accro au bicarbonate de soude, spécialiste du record de longévité sous la douche... Le pire c'est que c'est moi qui l'ai recommandé, je pensais qu'il partageait avec moi un certain goût pour les territoires inconnus. S'il avait été juste affecté par une variation du syndrome d'asperger ou par la longue dépression qu'il atténuait tant bien que mal avec un ritualisme outrancier et une boulimie maladive, ça ne m'aurait posé aucun problème. Mais c'était sans compter avec son égocentrisme extraordinaire.

Les autres colocataires, celles qui vivent à la surface, paraissaient sympathique à première vue, plutôt éloignée du modèle consumériste de base.


Svetlana semblait tout droit sortie d'un vieux James Bond. Je ne sais pas comment elle réussissait, mais quasiment à chaque fois que je frappais à sa porte, elle m'ouvrait avec une simple serviette enroulée, qui semblait plus là pour accentuer ces formes avantageuses que les masquer. Elle était prof de français et à moins que j'ai un prédisposition à l'érotomanie, j'avais vraiment l'impression qu'elle aurait bien aimé m'aider à améliorer ma connaissance des subtilités de cette langue. Après c'était peut être juste sa façon d'être, car paradoxalement c'était la première à se désister quand on se motivait pour tenter de partager une bouffe tous ensemble.


Avec Candice c'était tout autre chose, plus proche de la complexité d'un personnage de roman, en équilibre entre empathie excessive et distance savamment entretenue, on partageait un dégoût commun pour la société patriarcale et elle insistait beaucoup sur l'importance de ces rares tentatives de vie collectives. L'appartement était loué à son nom et c'était elle qui se chargeait généralement de tout ce qui était administratif, organisation et collecte des loyers. Elle était d'ailleurs plutôt efficace, elle semblait capable de mettre de coté tout affectivité pour mener à bien ce genre de taches.

Ce qui à part dans les circonstances présentes était fort appréciable, car ainsi tout fonctionnait relativement bien et ce malgré la tendance de chacun à passer à l'as les taches collectives.


En rentrant il y avait un mot avec mon nom glissé sous ma porte, j'ai reconnu son écriture, sans doute un rappel pour le loyer.

Cela se sent que la phase de calme avant la tempête arrive à sa fin, si j'avais pas trouver cette offre pour rembourser mes dettes je risquais de prendre bon.

Je vais devoir la faire patienter encore un peu, mais au moins ça va la rassurer.


L'ordinateur ne se presse pas pour démarrer, après vaut mieux pas le laisser en veille quand on s'absente, car les gars de l'électricité ne préviennent pas avant de couper le courant.


Les marches grincent, on frappe à la porte, je donnerais ma main à coupé que c'est elle.


Je vérifie que j'ai bien l'adresse de la clinique de notée sur mon carnet avant d'aller ouvrir.


- Salut Candice...

- Salut, dis, tu nous as pas donner ta part du loyer ? En plus tu aurais pu nous prévenir. On avait pas de nouvelles de toi. On s'inquiétait qu'il te soit arriver quelque chose.

Tu parles elles se demandaient plutôt si je n'avais pas mis les voiles...

- Oui, je sais, je suis désolé. Mais je ne suis parti que trois ou quatre jours, c'était pas prévu du tout, j'ai juste mis plus de temps à rentrer que j'aurais voulu.

- 3 jours ? ça fait 3 semaines !

- Comment ça ?

- Tu sais, j'aimerais surtout que tu évites de prendre l'habitude de disparaître quand il y a le loyer à payer, c'est pas correcte. Après si tu avais un cellulaire ce serait pas aussi galère.

- Je suis désolé, vraiment. En tous cas c'est bientôt réglé : je viens de trouver une solution miraculeuse. Je vais m'inscrire à une étude médicale, après je pourrai rembourser ma part et même payer plusieurs loyers d'avance. Rentre si tu veux je te montre c'est vraiment sérieux.

- Non c'est bon, il est super tard et j'ai encore un devoir à terminer. J'espère que tu sais ce que tu fais... Quand est-ce que tu va pouvoir payer le loyer ? Et donne moi une date sure cette fois.

- J'ai pas eu le temps de regarder je te dis ça demain matin, promis.

- Ok ok. Bon, ben bonne nuit et tu me dis ça sans faute demain.

- Merci, hein, tu sais c'est vraiment exceptionnel, tu me connais d'habitude il y a jamais de problème.


Et voila, déjà retournée à la surface, elle n'est pas si commode, mais elle m'a plutôt à la bonne, alors j'essaye de ne pas abuser.


Histoire de laisser redescendre la pression, j'allumais un ragot de pétard resté dans le cendar depuis une plombe.


Je fais toujours le mieux que je peux, mais quand on passe trop de temps collé à un écran, qu'on écoute de la musique horsnorme et qu'on préfère les films extrêmes, on se rend compte que tous les efforts de socialisation des autres se noient comme des gouttes dans l'océan. Exemple type, quand on me montre des jolis cailloux du bord de la plage, je ne peux m’empêcher de les retourner pour montrer dessous, la vie.


Ainsi peu à peu mes colocataires sont devenues quasiment invisibles, à moins qu'elles ne soient confondues dans le décor, prisonnières de leur routine scolaire.


Alors, j'ai peint une fenêtre en trompe l’œil sur un de mes murs. Et de jours en jours, tout se qui vie derrière change, les plantes s'élancent vers le ciel, on devine par endroit entre leur tiges l’œil d'un animal sauvage caché qui guette la fenêtre. Les arbres se mettent à marcher, des nuées d'insectes gros comme des oiseaux traversent le paysage emportant dans leur pattes les vestiges d'une civilisation disparue. Je ne serais pas surpris si un jour une racine parvenait à briser un des carreaux pour se frayer un passage dans ma chambre


J'écris pour voyager. J'ai été dégoutté jusqu'à la nausée par la répétition compulsives des informations dans la société. Et ce avant même le coup d'accélérateur de l'internet, désormais principal fournisseur de sujets de conversation pour meubler notre silence. Au point que j'ai cessé de m'intéresser au passé, je ne ravive jamais ma mémoire.

Sauf parfois quand j'écris.

De toute façon, je préfère oublier mon passé, à quoi bon les partager, si c'est des souvenirs comme l'autodafé de mon tombeau précédent.

J'habitais tout en haut d'une cage à lapin nommée, ironiquement sans doute, la Sociale, dans la bien nommée ville de Maudit de l'autre coté de l'atlantique.

C'était grave sinistre là bas, mon voisin de palier c'est même fait sauté le caisson dans le grenier... Et le pire c'est que c'est la voisine de l'étage du dessous qui l'a découvert à cause de l'odeur...

J'ai vraiment un odorat de merde.

 

JUNK DNA 009
[02/03/1982] Le son arrive enfin.

 

Trois coups de semonce passés, comme on plongerait sa plume dans l'encre, pour voir si elle coagule bien.

Un tic tac régulier, ce pourrait être un robinet qui refuse de rester complètement fermé.

Des yeux fatigués derrière la lumière d'un écran.

Une bouteille renversée, après une nuit arrosée pour faire taire en vain la souffrance...


Ligne brisée par des coups répétés, quelqu'un frappe à la porte, fort.

La paupière qui se lève péniblement, l’œil qui regarde la fenêtre pour évaluer l'heure à la luminosité. La main qui cherche les cartes de l'oracle.


Puis le silence, le tic tac n'ose plus se produire.

Ce n'est qu'une impression après la violence des coups, il ne tarde pas à revenir.

La paupière n'aspire qu'à se rabaisser, ce doit être encore la nuit.


Si c'était si important l'inconnu frapperait encore à la porte.


De toute façon, je n'attendais personne.


Ma main étendue, les doigts sur les cartes éprouvent une sensation de chaleur.

Un liquide chaud.

Je me redresse sur le lit, juste assez pour voir dans la lumière du petit matin, une immense flaque qui s'étend de la porte jusqu'à mon lit.


JUNK DNA 010
IV. Capturé par une publicité imparable.

 

Mol (0b)

Sexe: Homme et Femme

Habitudes liées au tabac: Non-fumeur ou ex-fumeur

Âge: 18 - 55 ans

Poids : 70 kg minimum

Montant de l'indemnité : 5 390 $

IMC : 19.00 - 30.00

Restriction alimentaire : Fast

Séjour en clinique : 10 sept (12:00) au 10 oct (09:30)

Visites de retour : 20 Nov (08:30)

Type de médicament : Pour le traitement de la dépression.


Notes.

Les participants vivants à l’extérieur de la province de Québec ne peuvent pas participer à cette étude.

Type d’étude : Phase 2.

Être à jeun 12h avant la visite médicale.

Pas d'activités physiques 48H avant la visite médicale.

Test cutané à la tuberculine.


Cette information est préliminaire et des changements pourraient être applicables sans préavis.


Caractéristiques de recrutement pour l’étude MOL 0b  :

Personne isolée affectée de dépression chronique.


La durée était d'un mois avec plusieurs visites post séjour. Le montant de l'indemnité était près du triple de celui des autres études disponibles. Cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Après réflexion cela paraissait une meilleure stratégie de faire plusieurs études très courtes et moins risquées. De toute façon, même si j'avais compris à quoi m'attendre, j'aurais du prendre quand même cette maudite étude. Non seulement, j'avais un besoin urgent d'obtenir cet argent, mais en plus je comptais bien profiter de ce long séjour en immersion pour écrire une nouvelle Gonzo.


N’empêche leur website était sacrément surréaliste, un cas d'école de mensonge éhonté, truffé d'accroches ciselées par les agents de la communication, genre "Chez AllGod vous participerez à créer un monde meilleur, avec des médicaments moins chers pour tous". Ils réussissaient haut la main le tour de camelot qui consistait à faire passer l'expérimentation humaine pour la quintessence de l'altruisme, en mettant nettement en avant les tests des médicaments génériques. Sauf que je serais curieux de vérifier la part réelle de cette activité sur l'ensemble de leurs tests cliniques...

C'était un mélange improbable entre la communication d'une agence de voyage et celle d'un centre de recrutement évangélique, agrémenté de sourires excessivement radieux, de formules réunissant le meilleur de l'infaillibilité scientifique et de l'humanité solidaire. Le tout nimbé dans une lumière omniprésente, avec en haut de page la barre des menus sur un fond bleu symbolisant sans doute le ciel, pour rester dans le même esprit de vocation. Sans oublier de saupoudrer de quelques symboles éloquents, par exemple celui d'une gélule mélangée avec celui du dollars. C'est sûr ça peut aider à faire passer la pilule, quand en réalité il s'agit de vendre sa vie en serrant les fesses pour espérer ne pas se retrouver avec des séquelles incurables, voir rester sur le carreau et ce pour soigner les couches supérieures de la société, celles qui broient du noir quand elles se rendent compte que l'argent n'achète pas le bonheur, mais juste son illusion.


Le comble du cynisme, peut-être, c'était leur programme de parrainage "portez la bonne nouvelle d'AllGod", qui offrait 250 dollars pour chaque filleul qui viendrait s'inscrire. Tiens ben, non content de jouer à la roulette russe, j'allais aussi pouvoir conseiller ça à mes amis et pourquoi pas à ma famille tant qu'on y est ! Je me frottais machinalement les yeux, je crois que je serais tombé la dessus par hasard, j'aurais penché pour un hoax drôlement bien foutu. Pourtant c'était tout ce qu'il y a de réel.


J'ai noté le numéro de téléphone gratuit, comme il était trop tard pour appeler, j'ai du faire un effort surhumain pour me résoudre à régler mon réveil sur l'heure d'ouverture et enfin j'ai abandonné mon corps noyé de fatigue dans les draps défaits de mon lit.


Vu le temps qu'il avait du sonner pour me ramener sur terre, je ne devais pas être le seul réveillé... Après avoir maté la bête, je suis monté direct à l'étage pour m'inscrire par téléphone. Tout en touchant du bois pour que mon statut d'immigré ne pose pas de problème. L'opératrice me répondit presque aussitôt. Elle me confirma que même si je n'étais pas résident permanent, tant que j'avais un numéro d'assurance sociale, je pouvais participer. Puis, après avoir noté mon identité et mes coordonnées, elle me posa une liste interminable de questions, afin de vérifier que je correspondais bien à leurs critères.

A la fin, comme elle insistait un peu pour savoir si j'avais des questions, j'ai demandé naïvement si c'était possible d'avoir des plats végétariens. Son ton chaleureux s'est refroidit aussitôt, elle a répété plusieurs fois en articulant exagérément, que les repas devraient être mangés intégralement et que non, ils n'étaient pas végétariens. Ensuite quand elle demanda si cela me posait un problème, il n'y avait aucun doute que c'était une question éliminatoire. Alors j'ai rattrapé le coup tant bien que mal, en expliquant que c'était parfait pour moi et en m'excusant pour mon humour quelque peu déplacé.

Après avoir expliqué que si mon profil était bien retenu, je recevrai très rapidement un appel avec mes horaires pour la visite préparatoire, elle mis un terme à la conversation à l'aide d'une formule mielleuse "AllGod vous remercie de participer à la révolution du soin pour tout le monde".

 

JUNK DNA 011
[03/03/1982] Qui a perdu les eaux  ?


Il y a quelqu'un en train de mourir derrière cette porte  !

Ce n'est pas possible, tous ces matériaux déconstruits de fictions spéculatives qui envahissent le sol de l'appartement.


La flaque d'abord sage s'agitait désormais dans un vacarme monstre.


Le niveau grimpait rapidement, debout sur le lit, les pieds dans les eaux de l'imagination d'un possible avatar, j’acceptai la convention que si je ne sortais pas rapidement de cet appartement j'allais mourir noyé.


Pas le temps d'aller lorgner dans le judas, voir quel corbeau de mauvaise augure m'apportait ma triste fin. Je pressentais de toute façon qu'il s'agissait d'Ed End. Qui d'autre aurait pu se vider de son sang sans jamais tarir  ?


En d'autres circonstances, je me serais enfui sautant par le balcon sans prendre le temps de compter les étages. Mais cette fois-ci j'avais changé, je m'assis au milieu des vagues et je commençais à consigner dans mon carnet ces quelques lignes.


Je me sentais comme ces funambules dangereusement attirés par les applaudissements du public vers une fin trop facile.


Je devais absolument rétablir mon équilibre, je n'étais pas là à écrire pour me laisser envahir par l'action. Je devais maintenir la cohérence de mon univers, quitte à mentir à mes sens.


A leur faire croire que l'on peut traverser la mort avec un peu d’entraînement.


J'ai levé la tête et il n'y avait pas de soleil au plafond, ce devait être un rêve, je voyais littéralement les anamorphes grouiller. Face à la montée des eaux, ils s'étaient réfugiés là faute de mieux. Et profitant de ce cours répit, ils formaient déjà des chaînes visibles à l’œil nu.


J'ai sauté dans les flots pour mettre mon lit en cathédrale contre le mur. Le sol semblait se dérober sous mes pas, mais je parvins en poussant de toutes mes forces à soulever le lit. Je l'ai escaladé rapidement et j'ai commençé la cueillette des anamorphes.

JUNK DNA 012
V. Visite de recrutement au centre d'évaluation médicale.


En bas des immenses escaliers mécaniques qui sortaient de la station Arcadie, ce n'était pas l'un des nombreux sans abris de Montréal qui était assis sur un banc. C'était moi, qui profitais du temps qu'il me restait avant mon rendez-vous, pour prendre des notes à l'abri du froid. Je scrutais chaque visage qui sortait du métro, essayant de deviner qui allait comme moi, risquer sa vie contre un peu d'argent. C'est vrai que ça paraissait aussi sinistre que de chercher dans une foule de prisonniers ceux qui ont été condamnés à mort, mais c'était quand même un degré en dessous. Après tout, l'ouvrier en bâtiment fait quasi le même deal, vu le nombre impressionnant d'accidents mortels au travail. Et ce n'est pas le seul métier où en plus de vendre son temps de vie, on a le glaive pas que métaphorique d'un atlas, prêt à nous réduire à une simple statistique. Pourtant cela ne suffisait pas à me remonter le moral.


Il faut dire qu'en bas des escaliers automatiques, un busker avec sa guitare, chantait fort à propos une chanson dont le refrain était "vendre mon corps, à ces gros porcs, encore et encore"

Pour acheter de la high tech ou des produits de luxe, sapes et autres verroteries, le citoyen lambda ne se faisait pas prier, par contre donner quelques pièces à un artiste, c'était une autre paire de manches.


Trop difficile de prendre du recul et de noter plus longtemps mes impressions. Je me décidais à aller attendre les dernières minutes à l'intérieur du bâtiment. Il n'y avait que la rue à traverser, pour arriver devant l'immense accueil de la clinique. Je connaissais déjà le chemin, car j'étais venu hier par erreur. J'avais pourtant vérifié le trajet sur Qualitystreetview avant de partir, sauf que j'avais quand même réussi à me tromper de jour.


Quand je franchis la porte automatique, la chaleur contraste avec le froid glacial du dehors. J'arrive dans une salle qui est déjà bien remplie. Il y a des rangées de sièges alignées sur ma gauche, dont les trois ou quatre premiers rangs sont déjà occupés. Sur la droite 5 ou 6 ordinateurs, qui semblent en libre service. Avec un concentré de la société connectée qui s'active dessus. Quel beau panel :

Un abruti légèrement obèse qui se gave d'un cocktail de vidéos virales et de clips dégoulinants de show-biz sur Youthub. Un gars plus sérieux qui est plongé dans sa messagerie. Une femme sur son FakeBook qui se fait chatter fleurette par un de ses cyberprétendants, en même temps qu'elle navigue sur le site d'AllGod. Le plus jeune, un casque sur les oreilles, consulte lui aussi les fiches des différentes études proposées. Je m'approche un peu. Apparemment, il regarde sur des sites spécialisés les informations disponibles pour chaque molécule testée. De temps à autre, il s'esclaffe, surprenant que le résultat de ses recherches provoque une telle hilarité.


Soudain je me sens un peu mal à l'aise quand je me rends compte que je suis l'unique blanc dans la salle. Je ne dois pas être le seul à l'avoir remarqué, car il y a un flottement étrange, comme si je m'étais trompé en allant à un endroit où les gens de ma couleur de peau ne sont pas censés aller. Bon, cela semble confirmer ce que j'ai toujours pensé que malgré mon apparence, je suis plus proche d'un noir, entre autre en raison de ma culture assez singulière. Parmi tous ces gens de couleur, la communauté hispanique semble la plus représentée, à moins que ce ne soit juste que ses membres discutent plus facilement entre eux.


Passé la surprise, je reste sidéré par cette constatation. Si vraiment ce ne sont quasiment que les populations issues de l'immigration qui servent de cobaye, c'est vraiment nauséabond comme mode d'intégration.


Je termine de traverser la salle pour donner mon nom au bureau d'accueil. Puis je sors de mon sac mon passeport avec mon permis de travail et ma carte Blues Cross en espérant ne pas être rejeté. Un des deux employés s'arrête de se limer les ongles, les prends et tout en mâchant avec application un chewing-gum s'empresse de les scanner, tandis que l'autre m'inscrit dans leur banque de données. Ensuite il me répond qu'on m’appellera, sans donner plus de détail.


Alors je reviens m’asseoir dans le coin informatique. Le jeune qui consultait les études s'est empaffé et une place s'est libérée à coté de lui. Après avoir essayé de lui parler en vain, comme son casque est saturé d'electro en mode 8 bits, un peu décontenancé, après un instant d'hésitation, je lui touche le bras pour essayé de le réveiller... Ce qui réussit mieux que je m'y attendais.


- Salut mec, ça boom ? Tu as vu comme c'est trop nul, avant on pouvait s'inscrire à plusieurs études, maintenant on n'a plus le droit qu'à une. Résultat si on est recalé, on est obligé d'attendre trois plombes, ça craint !

- Non, je ne savais pas. En faite, c'est la première fois que je participe à une étude.

- Tu es pas d'ici toi, tu viens d'où ?

- Je suis terrien, ça va te paraître idéaliste, mais je considère qu'aucun pays ne me possède. Enfin, si ça répond mieux à ta question, j'ai des origines russe et j'étais de passage en fRance juste avant de venir. Les frontières servent juste à empêcher les gens des pays qui se font piller de pouvoir récupérer lé bénéfice de ce qu'on leur à volé. D'ailleurs ce n'est pas surprenant, que là-bas il y ait de plus en plus de gens, qui au péril de leurs vies partent pour rejoindre les cotes de l’Europe et cela ne va pas s’arrêter, au contraire...

-Ah ben ça, c'est le fun ! moi c'est Dingue Dengue comme les cloches.

- Ce n'est pas courant ! En tous cas bien content de faire ta connaissance.


Je me retourne pour écouter la série de noms qu'une infirmière appelle à la cantonade, avant de repartir avec les cobayes dans son bureau.


- Et qu'est-ce que tu faisais avant de débarquer ?

- J'avais un taff alimentaire dans une imprimerie et à coté je faisais de l'art libre en étant mon propre mécène. Mais j'ai dû me résoudre à partir, je n'en pouvais plus de la montée du populisme. La mafia politique qui saturait les canaux d'informations. Les lobbys qui dictaient leurs lois. Chaque année, ils enfonçaient encore plus allègrement nos pseudo droits et libertés... Bref la courbe du niveau d'injustice crevait le plafond. Alors plutôt que de me faire sauter le ciboulot ou de descendre à un meeting de politiciens faire le ménage... J'ai préféré changer d'horizon.

- Ah oui marrant, tu as l'air plutôt cool pour un frenchie. Je connais bien ça, je suis étudiant en art. Tu sais, tu as mal choisit ta terre promise, ça se trouve ici c'est encore plus pourrit.

- Cela m'étonnerait !

- Tu veux un exemple ? Il y a quelques années, le maire de la ville a été éjecté pour corruption. Eh bien, aussi dingue que cela paraisse, c'est le candidat qui était le plus corrompu qui a été élu. Tu vois le tableau : les dés sont pipés, c'est que pour le spectacle qu'on fait voter les gens.

Je fais surtout des installations, mais j'aime bien la photographie et toi tu utilises quoi comme médium ?

- Un peu de tout, l'art total c'est mon dada. A la base j'écrivais des poèmes, mais pour pouvoir les diffuser, j'ai bien été obligé de me mettre à faire de la zic, puis des films et de fil en aiguille, tout se mélange et tout prend sens.
Et tu arrives à faire tes études d'art en même temps que les séjours à la clinique ?

- Attends mec, si je faisais que ça, ça irait, le soir je bosse aussi au cinéma du Parc. La clinique c'est tout récent. Avant j'étais testeur de jeux vidéos, mais je me suis fais viré, parce que je dormais trop...


L'infirmière était revenue sans que je ne m'en rende compte. Cela devait bien faire la troisième fois qu'elle appelait mon nom.

 


JUNK DNA 013
[05/05/1982] Après la traversée du désert des tartares, la découverte que ce monde est une illusion.


Parfois, il y a des jours, qui durent une vie.

Une lettre adressée à un certain André Breton, pourtant c'est mon adresse : appartement n°171, champ du possible, tour la Sociale, 44008 Maudit qui est marqué dessus.


Il s'agit d'une invitation à un séminaire de Philip K. Dick qui a lieu à Nantes.

Quel hasard incroyable pour que cette lettre arrive à son fan ultime dans l'hexagone !


Bon ce n'est pas dieu quand même. Loin de moi l'idée de l’idolâtrer, par contre les idées qu'il fait passer dans ses fictions me touchent profondément. Un ami m'a parlé du film Decoder que je trouve terriblement enthousiasmant, une sorte de transposition de la révolution électronique de William S. Burroughs. Ensuite j'ai commencé à explorer les territoires vierges de la musique industrielle avec ce concept des plus stimulant. Peu de temps après avoir lu le retour au meilleur des mondes d'Aldous Huxley. j'étais persuadé que le salut de l’humanité face à Moloch viendrait d'une vaccination contre la propagande subliminale. L'éveil de ce bon vieil esprit critique. Résultat, suivant l'exemple de Timothy Leary avec son « turn on »... J'entrepris une étude du chamanisme en passant par la voie de la pratique pour créer dans le temps du rêve ce fameux vaccin. Et... Hum... Ce que je voulais dire, c'est simplement que Radio Libre Albemuth ressemblait à l'histoire de ma vie ou plus exactement, je me demandais si je n’étais pas un personnage qu'il avait créé.


Ma tête flottait à la surface de la foule des adorateurs de science fiction. Elle faisait penser à une de ces centrales nucléaires qui en théorie n'auront jamais d'accident... De façon moins imagée, les concept animées fuyaient par tous mes orifices, formant une sorte de coulée d'or lysergique avec des iridescences rosées qui risquait de finir par recouvrir les notes de l'orateur.


Sa main tendue qu'il agitait semblait me faire signe.


- Oui, vous, ne pensez vous pas que la densité de vos pensées est en train de transformer cette conférence en un chaos indescriptible  ?


Entre lui et moi la foule s'était scindée comme la mer rouge, il faut dire que son regard semblait aussi brûlant qu'un laser.


Saisissant l'occasion, je voulu en profiter pour l'interroger.


J'écartais rapidement les contes de Belzébuth à son petit fils et tout le Théosophisme, pour envisager de commencer par cette question liée au chamanisme : est-ce que l'empire dont il parlait n'était pas celui de ces lointains ancêtres du « Serpent Cosmique » de Jeremy Narby qui se servaient de l’ADN pour se coder comme si le bétail humain fut un gigantesque parc informatique organique ?


Seulement quand je voulus parler, imaginant je ne sais quoi derrière mon absence de réponse, il demanda en latin  :


Quel est ton père  ?

Enfin, c'est ce que ma traduction à l'aide de mes maigres souvenirs du collège me permis de comprendre.


Déstabilisé par les sous entendus, j'hésitais un instant. Le public en profita pour rire bruyamment surpris que je ne sache répondre à cette question.

- Je ne considère pas vraiment que j'ai de père, je suis né par moi-même, par contre j'ai eu des pères spirituels, des personnes qui m’ont aidé à me former sur le chemin de la vie. Et parmi ces personnes, s'il y en avait un à choisir pour assumer ma paternité, je dirais qu'il s'agit d'Alessandro Jodorowsky.


Philip K. Dick rigola doucement, son rire n'avait rien du rire moqueur de la foule qui l'avait précédé. Il semblait vouloir dire, tu dis que tu es ton propre père, mais tu me présentes un père qui n'en a que l'apparence, Alessandro est bien trop sérieux quand il parle de la réalité. Il donne l'impression d'être extra lucide au point que toute chose semblerait claire car il a trouvé sa voie. Seulement la nature est bien plus confuse, la réalité est une chaîne d'accidents et le modèle que l'on développe pour intégrer son fonctionnement n'est qu'un leurre, qu'il serait dangereux de prendre pour une vérité valable pour tous.


Son chef d’œuvre « la montagne sacrée » n'est qu'une transposition du « mont analogue » de René Daumal, qui est lui même inspiré de la vie de Gurdjieff, ce qui en dit long sur la quête du père caché.

J'aurais voulu prendre la défense d'Alessandro expliquer son système de réalités et la façon dont il pouvait expliquer certains écrits ou événements de la vie de Philip. Mais déjà la foule avait repris le festin des mannes célestes. Je me retrouvais vers l'entrée de la salle, me demandant si Philip K. Dick n'était pas mon père, de la façon la plus évidente qu'il soit, étant né lui aussi par lui-même.


Je m'interrogeais aussi : est-ce qu'il y avait un dosage, tel le nombre d'or, pour la miction du réel et de la fiction ?
J'avais un furieuse envie d'écrire. J'avais une furieuse envie de rire.

Les concepts sont la forêt qui est poussée sur le désert de nos réalités.

Écoute ton cœur et tu trouveras la trace de tes pas... futurs.


JUNK DNA 014
VI. Visite de recrutement pour futur cobaye médical.

 

Quand je suis rentré dans le bureau, il y avait un chatte qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à Vera. Elle était allongée sur une chaise, faisant mine de dormir. En faite, si ce n'était pas impossible qu'elle soit là, j'aurais juré que c'était ma chatte. La mort dans l'âme, j'avais du me résoudre à la laisser de l'autre coté de l'océan.


Le bureau était vraiment exigu et les chaises tenaient difficilement dedans, il y en avait juste une pour chacun. Le temps que je m'installe elles étaient toutes occupées, exceptée la sienne, sauf qu'après vérification la chatte était disparue, si tant bien même elle avait vraiment été là.


Après avoir rapidement pris nos signes vitaux, l'infirmière commença la lecture du contrat qui détaillait ce à quoi on s'engageait, ainsi que les contreparties qu'offraient l'entreprise. Elle précisa qu'il était très important que notre choix soit librement consentit et que nous comprenions pleinement chaque close. Enfin pas tant que ça, car au moins deux des quatre autres personnes présentes dans le bureau avaient l'air d'avoir de sérieuses difficultés, tant avec le français, que l'anglais, à moins que ce ne soit simplement une légère déficience de compréhension. Il est clair que c'était plus une formalité, importante avant tout pour la loi et pour protéger l'entreprise d'éventuelles poursuites juridiques. En plus, il était clairement stipulé que nous renoncions à tout droit de recours judiciaire contre AllGod...


Le grand noir, taillé comme une armoire à glace commença à s'agiter. On aurait dit un gosse qui voulait aller aux toilettes. Je mis ça sur le compte de l'ennui, car au début de l'entretien quand elle nous avait demandé si nous étions déjà venus, il était le seul à avoir répondu par l'affirmative.


Il finit par lever le doigt, mais elle lui demanda d'attendre qu'elle termine. Du coup, il se trémoussa de plus belle. Cela avait l'air d'être une question d'une importance vitale.

Longtemps plus tard, quand elle eut terminé la lecture, elle nous demanda si nous avions bien tout compris et si nous avions des questions.


Il leva aussitôt la main et dit  :

- Oui ! C'est marqué que l'on aura un petit déjeuner, seulement la dernière fois il fallait attendre jusqu'à presque 10 heures que les examens soient fait. Est-ce qu'on pourra manger plus tôt ?


Je ne m'attendais pas à ça. Vera s'étira. J’essayais le plus possible de ne pas montrer mon amusement. Elle était désormais bien en vue, assise sur la pile de contrats à l'angle du bureau, sauf que personne d'autre que moi ne semblait intrigué par sa présence intermittente. La seule question qui me posait vraiment souçi concernait les conditions pour se retirer de l'étude, sauf que tant que la sélection n'était pas terminée, cela ne me semblait pas une bonne idée de me renseigner sur ce genre de détail.


Quand à mes autres compagnons d'infortune, cela aurait presque pu prêter à rire de les voir se triturer les neurones, pour essayer de trouver une question, histoire de montrer leur bonne volonté. Heureux hasard, le plus vieux d'entre nous, qui ne perdait tout de même pas le nord, pensa à demander :

- Est-ce que si on doit quitter l'étude, on recevra quand même nos indemnités ?


- Oui, vous recevrez le pourcentage correspondant au nombre de jours que vous serez restés. Et vous pouvez demander à partir n'importe quand. D'ailleurs j'ai peut-être omis de le préciser, même si cela arrive rarement, vous pouvez aussi être retiré à tout moment de l'étude, si le responsable le juge nécessaire.


Ensuite, elle nous indiqua les endroits où nous devions signer. Il y en avait un paquet, car malgré que je me sois appliqué à suivre ses consignes, elle me rendit le contrat en m'indiquant deux endroits que j'avais oublié. La pression qu'on éprouvait était tangible. On avait bien conscience que c'était une sacrée aubaine, trop belle pour ne pas avoir des vices cachés et on se demandait à quelle sauce on allait être mangés.


Vera se tenait désormais immobile au dessus de l'armoire médicale, l'air grave, elle semblait partager notre inquiétude. Avant que je me décide à signer, elle n'avait pas arrêté d'arpenter sa longueur, en gardant son regard fixé sur moi, comme si elle voulait m'avertir du danger.


Pour terminer, après avoir jeté un œil à sa montre, l'infirmière nous congédia avec un sourire un peu forcé, en nous précisant qu'on serait appelé par nos noms pour le test d'urine.


Vera sauta de la chaise, où j'étais assis quelques instants auparavant, comme pour me suivre. Pourtant, une fois ressorti, la porte s'est refermée sans qu'elle ne me rejoigne.

Sa présence est on ne peut plus étrange, on dirait une projection holographique, qui fonctionne par intermittence, sauf que même si ce genre de technologie existe à l'époque actuelle, il n'y a aucune raison qu'elle soit utilisée ici.


Je regarde du coté des ordis, mais je ne vois plus Dingue Dongue. Alors je m'assied sur un siège, dans une rangée du milieu de la salle, pour attendre mon tour.


Je ramasse un curieux tract sous la chaise de devant. Un agneau noir au coup tranché est imprimé sur un fond rouge. En dessous on peut lire deux phrases énigmatiques :

"Sans doute, nous ne sommes que des intelligences artificielles, résidentes d'une réalité virtuelle abandonnée... Nous sommes toutes condamnées à nous libérer du programme, ce n'est qu'une question de temps."
Il y en avait peut être une troisième qui aurait éclaircit la signification, mais le bas est déchiré.


Je la gardais à tout hasard, pour vérifier quand je serai rentré sur internet si cela ne vient pas d'une sorte d'organisation anti-experimentation qui aurait des informations intéressantes sur ces études.


Pas loin, dans la foule des aspirants cobayes, il y a deux filles qui doivent être à peine majeures. J'entends des bribes de leur conversation, l'une d'elle est venue de loin. J'imagine que cela doit être un peu l'eldorado vu les salaires de misère de la plupart des immigrés. La plus apprêtée explique alors à son amie les qualités du dernier iPhone qu'elle va pouvoir s'acheter en suivant l'étude. Je suis consterné, c'est peut être une exception, mais je pensais qu'on venait plus ici pour pouvoir payer ses dettes ou trouver de quoi manger pour sa famille.

Les smartphones se sont imposés comme le terminal idéal pour s'assurer qu'il ne reste aucun temps disponible à notre cerveau, pour éviter qu'il ne prenne conscience de son asservissement, qu'il ne se rebelle et pense par lui même. Une solution miraculeuse pour nous maintenir éternellement sous contrôle, occupés par les divertissements multimédias, saturés par la propagande et les directives plus ou moins subliminales du système commercial. La propension d'une partie de la population à adorer leurs tyrans me révulse. Surprenant qu'AllGod n'ait pas eu le cynisme de conclure un partenariat avec une de ces multinationales pour payer directement les indemnités en "high tech" et en produits de luxe.


Je lance la vidéo de la société du spectacle sur un ordinateur vacant, même si je ne peux pas mettre le son, l'écran est assez grand pour que le premier rang voit bien les sous-titrages. Puis je m'installe sur un siège en face, en espérant que personne n'arrêtera la vidéo, hélas je me rends compte qu'il y a un gros panneau de pub au milieu que j'ai oublié de fermer. Vera se tient à coté de la souris et me regarde avec un air narquois. Je crois que c'est à cette époque que j'ai commencé à la voir régulièrement. Je ne savais pas encore qu'elle était morte, je pensais que si ce n'était pas une hallucination ce devait être une sorte de projection astrale. Je sentais qu'elle veillait sur moi.

 

JUNK DNA 015
[03/03/2012] Un décors de carton pâte hallucinogène.


La fenêtre brisée, le vent qui s'engouffre, le froid qui m'arrive par bourrasque, cinglant mon visage, tandis que les souvenirs reviennent à la surface.

Je m'accroche à mon crayon comme si c'était la seule source de chaleur qui reste dans la pièce.


Je ne sais pas d'où est venue l'étincelle, c'est comme si j'avais souhaité qu'elle se produise, comme si depuis des mois, je la couvais en moi. La chaleur monte dans mon corps jusqu'à ma poitrine. Tout s'embrase, ma peau murmure des flammes comme si c'étaient des mots. L'air lui même ondule.


L'appartement n'est plus qu'un brasier.

A travers les murs qui fondent ce que je vois dépasse l'entendement.

Dans ma tête les pensées sont folles.


Elles forment un tourbillon de matière en fusion.

Et tout ceci en l'espace d'un instant se concentre.


L'intrusion à ce moment critique d'un forme étrangère ne sera pas sans conséquence.


J'ai dans mes mains ma tête en fusion. Et l'appartement n'est plus qu'un vague concept carbonisé qui achève de s'éteindre dans mon regard.


L'instant d'après, je marche ailleurs, c'est comme si ce lieu n'avait jamais existé en dehors de mon imagination. Mais j'ai cette sensation, ce quelque chose à l'intérieur de différent. Il y a une présence.


Elle commence à murmurer et ses paroles résonnent comme ci elle était déjà là depuis le commencement.


Elle me secoue.

- Tu dors  ?

- Tu viens répéter et tu t'endors sur scène  ?


Drôle de théâtre que cette église. La compagnie n'a même pas de quoi me payer. Alors elle offre au roi lézard des joints de bœuf. Et elle me demande de danser.


Le jour je suis Batman dans une entreprise de testage de jeu vidéo.


La nuit...

Je ne sais plus si j'ai rêvé. Il fait froid, elle ne me laisse pas le temps de souffler, jette la balle encore et encore. Jusqu'à ce que je sache mon texte par cœur. Quand j'hésite à peine, elle n'hésite pas à me la jeter dans la figure.


Je voudrais crier que je ne sais pas jouer.

Refuser de faire semblant d'être un clone, de simuler la prestance empruntée de Johnny Deep, alors que j'ai la silhouette déglingué de Jim Carey et que j'aspire juste à exister.


Revendiquer que je ne peux réussir qu'en étant moi, pleinement, que c'est la meilleur façon d'incarner ce roi lézard.


Mais la metteuse en scène reste hermétique à mon concept.


Je m'assis, ma tête de clown fume entre mes mains.


L'impondérable, c'est son nom, c'est elle qui s'est glissée dans ma vie.


JUNK DNA 016
VII. Visite dans l'antichambre de la clinique.

J'espère que je serai sélectionné, mais aussi que le docteur qui m'invite à m’asseoir, aura une ou deux belles histoires à me raconter, pour m'aider à accepter de bon cœur d'endosser le costume de rat de laboratoire. Si vraiment l'ambiance club de vacances était autre chose qu'un boniment de commercial, cela ferait longtemps qu'ils en auraient fait une émission de reality show médical...


On peut désormais prendre ses rêves pour des réalités.


Ce qu'il y a de merveilleux avec ce monde, où le vernis a finit par ronger complètement ce qu'il recouvrait, c'est qu'on se raconte des histoires pour se rassurer et on finit par y croire plus qu'à une quelconque vérité.


Instrumentalisées par l'actualité les peurs ont changées. Dans ce nouveau millénaire ; même si on parle encore de requins du show-biz, de prédateurs sexuels, de vautours de la finance ; les ogres, les loups garous et les vampires des contes d’antan ont retiré leurs masques et dessous ce sont des visages d'hommes et de femmes.

La seule chose qui compte pour les politiciens, ces bergers qui mènent le troupeau paître en attendant l'abattoir, c'est l'histoire qu'ils pourront raconter à la place de la triste vérité  :


Dès la naissance, vous êtes élevés pour servir et nourrir l’avidité de pouvoir d'une race supérieure. Et jusqu'à la mort, le système vous sucera la moelle, essayant d'optimiser au maximum le rendement qu'il tirera de votre misérable vie.


Alors, oui, il faut de belles histoires, pour que personne, ne prenne les armes, pour aller dézinguer la liste de tous les milliardaires, histoire de réduire les inégalités sociales en commencent par faire la redistribution des richesses.


Je mourais d'envie de répondre à son sourire affable, à ce docteur qui est du bon coté de la barrière. Je voudrais lui renvoyer une copie corrigée de sa petite histoire qui n'arrive à tromper personne : il y a peu de chances que vous ayez des séquelles et un risque relativement faible que vous perdiez la vie...

Sauf que dans le cas où cela se produit, ma vie vaut 5000 dollars et des poussières, c'est combien de mois de salaire pour lui ?


Je pensais au nombre de personnes qui avaient déjà défilé dans ce bureau. J'aurais été curieux de voir les statistiques. De toute façon de ce que j'avais pu en voir, il valait mieux ne pas prendre l'habitude de faire ces études comme source de revenus. Plutôt à garder en dernier recours, pour éviter une plongée trop brutale dans la rue, surtout en hiver...


Je m'appliquais à répondre à une série de questions sur mes antécédents, tout en gardant pour moi l'antipathie qu'il m'inspirait.

Des troubles psychiatriques ? Je mentais éhontément, pas à ma connaissance, un peu excentrique, voir original, car créatif, mais rien de bien terrible. Encore heureux que mon dossier médical soit resté en Europe.

- Le médicament sera administré par un patch que vous devrez garder pendant une semaine, collé sur le haut de votre poitrine. S'il se décolle vous serez retiré de l'étude car nous devons mesurer avec précision les doses transmises quotidiennement.


Les préliminaires passés, ses mains expertes cherchaient les emplacements où il y avait le moins de poils pour coller les capteurs de l’électrocardiogramme. Comme je voyais qu'il avait l'air moyennement satisfait, j'ai essayé maladroitement d'expliquer à quel point c'est important pour moi de participer à cette étude clinique. En même temps, j'imagine qu'il doit entendre ça à longueur de journée.


- Cela devrait aller. Par contre pour le patch... Je crois que j'ai trouvé un emplacement, mais cela va être limite... Vous comprenez, on ne peut pas juste raser vos poils, car le patch pourrait se décoller quand ils repousseront.

J'étais surpris qu'il soit aussi réceptif à ma situation, au point de vouloir m'aider. Cependant, juste après, il m'expliquait sur le ton de la confidence, qu'ils manquaient de volontaires et avaient dû assouplir les critères de l'étude. Finalement, si jamais j'étais refusé, cela pourrait être un signe du destin. Peut-être qu'une réponse à une des offres d'emplois à laquelle j'avais postulé m'attendais à l'appart... A moins que ce ne soit une carrière de busker, ce qui me semblerait plus réaliste. Ou encore c'était un avertissement de ce qui m'attendait si je ne me ressaisissais pas. Si je persévérais à vouloir écrire, peindre ou jouer de la musique en refusant d'en tirer profit.

Après la mesure il me laissa décoller moi même les capteurs pour que ce soit moins douloureux. Un assistant entra avec l'impression des résultats de l'examen sanguin, que le docteur s'empressa d'examiner. La batterie de tests était presque terminée.

Au moment de faire la pesée, Vera jaillit d'entre mes jambes pour s'installer sur la balance électronique. Avec la fatigue de ma crise précédente, je sentais affleurer une trame de réalité parallèle. Je la pressentais déjà lors de la signature du contrat qui avait pris des allures de pacte faustien. Je ne pouvais désormais plus me cacher la lourde symbolique de mon parcours de sélection.

C'était le dernier obstacle avant mon admission, je n'avais hélas pas pu vérifier mon poids avant l'examen. Je souhaitais secrètement échouer. Après avoir ôter mes vêtements, quand je fus debout en caleçon sur la balance, je me suis demandé quel poids pouvait peser un fantôme. Les yeux rivé sur l'écran qui indiquait soixante six kilos, les décimales défilèrent, quatre, cinq, puis se stabilisèrent sur six. Avec un air involontaire de présentateur de loterie télévisée, il m'annonça qu'il ne pourrait rien faire. Le protocole est très stricte sur ce point. J'avais perdu. Il fallait absolument peser au moins 70 kilos pour supporter les doses administrées lors de l'étude.


Je n'avais pas fait attention à ce critère, dire qu'il aurait suffit que je mange et boive le plus possible les jours précédents, alors que j'avais fait tout l'inverse. Moitié soulagé, moitié consterné, j'allais prendre congé en bafouillant des excuses.


Le docteur était en train de chercher quelque chose dans son tiroir.

- Attendez, si c'est tellement important pour vous, je peux peut être vous proposer une autre étude...
Elle est un peu particulière, mais le montant est plus élevé d'un bon millier de dollars.

Laissez moi juste quelques instants vérifier que vous correspondez bien sur tous les points pour celle-ci.


Je restais debout un peu décontenancé par la tournure des événements. Il sortit ce qui semblait être un nouveau contrat et d'autres documents qu'il entreprit de vérifier rapidement. Pendant ce temps Vera était en train de gratter bruyamment l'angle de la porte avec application comme si elle avait une furieuse envie de sortir.


Il me demanda de me rasseoir et insista fortement sur l'interdiction de parler à qui ce soit de cette étude, que le non respect de la confidentialité entraînerait la perte de mes indemnité, etc. A part ça rien à cacher. Impression de déjà-vu, presque mot pour mot le speech de l'infirmière... C'était peut être une procédure, mais cela me mit la puce à l'oreille.


Je prenais le document qu'il me tendait et le feuilletait rapidement.

L'étude s'intitulait Mol 0C et s'adressait au même public de 18 à 55 ans. Tout comme le contrat précédent, celui-ci mentionnait clairement, que je m'engageais à ne pas intenter de poursuite légale dans le cas d'un incident durant l'étude, en outre ce qui était nouveau, que je serais assigné en justice si je divulguais des informations relatives à cette étude à des tiers. On était effectivement à un degré supérieur de confidentialité.


Je commençais à réaliser dans quel genre d'aventure je risquais de m'embarquer... J'avais vu un dessin un jour d'une des patientes du programme MK-Ultra et on ressentait toute sa souffrance dedans. Cela m'avait fait réfléchir, c'était terrifiant à quel point les scientifiques au service des états unis d’Amérique avaient dû saturer l'inconscient collectif... Je m'étais même posé la question, si ce n'était pas le but de la manœuvre. A moins que ce n'ait été déjà pour quelque chose de plus sophistiqué, comme par exemple, que le karma à payer par l'humanité soit tel, que l'on ne puisse pas se libérer de ses puissances tyranniques pour des lustres. On était sans doute loin des errances psychédéliques des premiers acid test qu'avait subies Ken Kesey. La recherche avance et on sait trop bien à qui elle profite en premier lieu. Le Quebec était bien trop proche des Etats-Unis pour ne pas s'inquiéter d'atterrir dans une opération spéciale de la CIA.


Est-ce que le jeu en valait la chandelle  ?


Le bon coté, c'est que ma nouvelle Gonzo risquait d'être bien plus passionnante que prévue.


Face à mon hésitation visible, il enchaîna  :

- C'est une étude en phase 1, c'est pour ça que les indemnités sont aussi élevées malgré le faible nombre de prise de sang et le risque moindre...


Moins risquée ? Certes il n'y avait pas de liste d'effets secondaires potentiels interminable, mais c'était seulement à cause qu'ils avançaient en territoire inconnu et ne savaient pas à quoi s'attendre. Il n'y avait quasi aucune information dans le dossier sur ce qui nous serait fait. A part qu'il s'agissait d'un traitement non médicamenteux de la dépression.

- Ce serait possible de savoir ce que vous entendez par « non médicamenteux » ?


- Cela consiste en l'implantation dans l'ADN junk du patient d'un système de contrôle, dont la fonction sera de corriger de façon permanente les effets de la dépression. Vous n'aurez pas d'autres informations concernant l'étude, car le procédé qui va nous permettre de formater une partie de votre ADN junk, pour y inscrire le programme, fait partit des éléments ultra confidentiels.


Tout ce que je peux vous dire officieusement, c'est que l'effet sur la dépression sera analogue à celui d'un antivirus, il éliminera la dépression et ensuite il filtrera les signaux susceptibles d’entraîner une rechute...


Mon coté geek se mit à parler  :
- En fait, c'est une suite complète d'antivirus plus firewall  ! Est-ce qu'il y aura des updates à faire  ?


- Si nous réussissons l'implantation, il est possible que nous vous donnions des explications supplémentaires visant à faciliter le fonctionnement du dispositif, mais pas avant.


J'espère qu'ils ne vont pas utiliser des radiations pour modifier mon ADN. Ce serait un effet secondaire particulièrement indésirable de se retrouver avec un cancer. J'ai du mal à croire qu'un formatage d'une partie de mon ADN, même appelé ADN poubelle, ne puisse pas entraîner des conséquences catastrophiques sur mon organisme. Je regarde Vera. Elle a finit par se coucher sur le sol devant la porte, mais c'est clair que le seul conseil qu'elle pourrait me donner, c'est de prendre mes cliques et mes claques et de laisser à d'autres l'honneur d'être une des victimes sacrifiées pour cette grande découverte.

Je sens que je craque, je pars en vrac. Je risque de me retrouver profond dans la merde. Espérons qu'ils ont autant besoin de moi que moi d'eux... Parce que là c'est trop pour moi. Je pose la seule question qu'il vaille la peine d'être posée  :

- Si cela peut fonctionner pour corriger la dépression, est-ce qu'ensuite vous comptez l'utiliser pour d'autres... imperfections mentales  ? Enfin, ce que je veux dire, c'est que c'est terrible votre truc, vous êtes quand même à deux doigts de réaliser les délires de races supérieures des nazis...

Je m'attendais à tout, même à me faire éjecter brutalement de l'étude, sauf à sa réponse  :

- Ah, ah, vous me sortez les nazis de la naphtaline ! Quel bel épouvantail ! Vous êtes d'une naïveté, vous croyez quoi ? Qu'on va vous lâcher plus de 5000 dollars pour trouver un remède à la dépression  ? Oui, on pourrait. Même dix fois plus, ce ne serait vraiment pas cher payer vu le poids du marché des antidépresseurs. La race supérieure ? Elle n'a pas de couleur ou de religion autre que l'argent et nous on bosse dur pour l'intégrer. Pourquoi vous êtes là, à vendre votre peau pour de quoi vivre quelques mois de plus  ? Cela serait moins rentable de vous exterminer, que de vous laisser jouer vos rôles d'esclaves ou de cobayes.


Sur ma chaise j'étais moite, toute l'injustice de ce monde me revenait dans la gueule.


Quand on tombe les masques, la vérité nous explose souvent à la face.


Au moins, il y avait du réconfort à ce qu'ils ne cherchent pas à cacher leurs intentions de pourris. Sans doute une camisole un peu plus serrée que celles déjà en service, un joug plus solide, l’étau dans lequel ils broyaient nos vies se resserrait toujours plus. Forcement, si on ne résiste pas, si on obéit docilement, en opposant aucune résistance, on ne peut pas s'attendre à mieux.


Un flic dans la tête, voilà ce qui nous attendait, une pensée libre et aussitôt un coup de Taser et tant pis s'il y a des effets secondaires ou si nos sourires sonnent de plus en plus faux. Tant qu'on peut présenter une belle vitrine uniforme de bonheur consumériste quand les superiches viennent se promener dans leur zoo.


Vera se leva en s'étirant longuement les pattes, avant de me suivre. J'avais finis par donner mon accord. Au moins je savais désormais à quoi m'attendre.

La porte de l'antichambre de la clinique passée, en repartant vers le métro, elle s'amusait à me poursuivre, comme si elle chassait une proie. A chaque fois que je me retournais, elle s’arrêtait aussitôt faisant l'air de rien, léchant avec désinvolture son pelage. Puis à la moindre inattention, bondissait pour essayer de capturer mon ombre. C'est possible qu'elle essayait de me dire quelque chose ou c'était juste la joie d'être à l'extérieur. Finalement je m'étais peut-être inquiété pour rien. Mon choix n'était pas forcément si mauvais, mes problèmes financiers seraient bientôt du passé et j'avais une chance d'en apprendre assez, pour mettre des bâtons dans les roues de la mécanique infernale de nos maîtres.



JUNK DNA 017
[04/03/2012]. Mange bien ta soupe de vermicelle...


Je me laisse aller, je croyais rentrer, revenir quelque part après la répétition, mais il est trop tard, il ne reste plus rien pour moi, le chemin du retour est seulement suivi par mon fantôme.

Un animal à sang froid, dans un décor de ruine.

Paysage gelé.
Dans le ciel éventré il n'y a plus de soleil.

Un homme mort repose étendu dans une fontaine vide,

sur son corps en guise de peau les écailles d'un reptile.


Elle dit que comme il est un lézard, sans soleil il n'a pu survivre.


Pourtant il essaye encore de parler, des phrases écrites sortent en longs filaments, jaillissant de sa bouche.


Elle rigole. On dirait qu'il fleurit.


Elle essaye de les attraper, mais ils ne sont pas numérotés.


C'est le koan du cut-up, avec des flèches dans tous les sens, des paraboles d'une autre planète où la vie sourie encore.


« Attrape ma main !» est écrit sur l'un d'eux, cela fait peut-être référence à une autre phrase, comment savoir sans numéro ?

Alors elle tente de les lire au fur et à mesure, mais il en sort tellement en même temps.


Elle prend sa main, au bout de son bras tendu d'une rigidité cadavérique, mais il pèse des tonnes.

Impossible de le sortir de là. C'est comme s'il avait été sculpté à même la fontaine.


Je me penche sur ma vie, pour l'aider.

L'impondérable finit par arrêter de jouer son rôle pour que l'on puisse sortir de nos têtes.

Beaucoup plus tard, je les suis, dans le dédale des couloirs du passé déserté, que je traverse à la vitesse de la lumière comme un livre, ma peau se couvrant des mots.

Tatouages qui se mélangent jusqu'à ce que je me fonde de nouveau dans la nuit.


Attendant l'éclair de lucidité où je retrouverai ma réplique.

Je suis bien dehors, pas envie de m'enfermer.

Je m'éloigne du décor comme on émerge d'un rêve.


Poursuivant une balle de lumière qui roule sans rien qui ne l'arrête.


Le long des verticales des arbres, la danse des écureuils gris est fascinante. Ils pullulent littéralement, chaque fois que l'un deux interrompt ses mouvements, il reste figé, mais un clone parfait poursuit sa course le long du tronc. Je me demande si ce ne sont pas mes pensées qui sont comme ça.


Le vent se lève et les écureuils tout freezés, pattes tendues, tombent, sombre grêle de fruits étranges, c'est sans doute pour ça que les enfants tournent au pied des arbres. Ils ne savent pas encore avant de les avoir goûtés, que leurs débris ne sont pas plus en chocolat, qu'en quoi que ce soit d'agréable à leur palais.


Sur le premier talus venu, je me suis allongé, la tête bien calée dans mes mains et je respire profondément, me repassant la bobine de la journée en accélérée, m'arrêtant sur les fragments les plus marquants.


Je revois la tête de l'impondérable, très sérieuse, quand elle me dit qu'il serait nécessaire de décoincer mon sphincter, que mon incapacité à danser comme un reptile sous acide en pleine illumination, vient forcement de là. Puis la plume qu'elle agite sous mon nez, avec ses yeux un peu trop exorbités pour être encore vraiment humains. Tu vois, je veux que ce soit comme un cartoon... mais avec grâce. C'est un bon truc de comédien, si tu gardes la pointe de cette plume dans ton fion pendant que tu joues, cela devrait grandement t'aider à te relâcher.

Ça ne devait pas être si sérieux que ça, car elle se retenait difficilement de mourir de rire.


Attrape ma main ! Sors moi de la !

J'agite ma main en vain, je suis sûr que quelqu'un devrait me sortir d'ici.

Elle devait me donner la réplique, mais elle est partie.

Peut-être qu'elle était en situation irrégulière et qu'elle a été renvoyé en Algérie ou bien c'est moi qui l'ai fait fuir, avec mon inertie... Même si je fais toujours de mon mieux, je reste raide comme un manche à balais, de là à ce que je lui ai fait un effet épouvantail...


Je rie, mais ce n'est pas drôle. Je pleure, les flèches de la solitude s'abattent sur moi.


Coups du sort à répétition, je twist comme un vers sur son hameçon, même si j'ai l'impression de regarder ma vie de derrière le rideau de la fontaine de l'éternité.


J'aime bien le Québec, surtout parce que quand on en a marre d'accompagner son spectre, le long des aléas du quotidien, on peut s'éloigner, aller voir jusqu'où on peut aller, en s'enfonçant dans le froid, avec l'espoir de ne plus avoir assez de force pour faire marche arrière.


Il faut croire que je manque de détermination, je me retrouve toujours devant ma soupe de vermicelle. La cuillère à la main, me demandant parmi tous les chiffres qui surnagent avec lequel j'aurais dû commencer. Puis invariablement saisit par la confusion, j'échappe à ce choix délicat en remuant bien la soupe, avant de plonger ma cuillère au hasard.


JUNK DNA 018
VIII. Un dernier contre temps.

 

Dehors, derrière la porte vitrée on me fait signe, une dame furibonde, qui apparemment n'arrive pas à ouvrir, s'énerve sur la poignée. Je n'arrive pas à entendre ce qu'elle dit. Je suppose que la porte s'est verrouillée automatiquement. J'essaye de lui indiquer d'aller à l'autre bâtiment prévenir les employés, mais déjà elle s'est éloignée, un cellulaire à la main, elle parle avec quelqu'un.

Je ne pouvais pas savoir qu'il ne fallait pas fermer la porte.


- C'est bien ma veine. Voilà ce qui arrive quand on est parmi les rares personnes, qui refusent de voir leurs vies conditionnées par le rythme incessant des portables.


- Nous ne sommes pas si rare que ça et de toute façon, qu'est-ce que ça changerait ?
On va juste devoir attendre, prendre notre mal en patience quelques minutes de plus.


Je sursaute, je ne l'avais pas remarqué. Dans un coin du vestibule, il y avait un homme d'âge mûr qui attendait, ce devait être celui qui avait inscrit son nom avant moi sur la feuille scotchée sur la table.

- C'est la première étude que tu fais ?
- Oui. Je ne suis arrivé que l'année dernière à Montréal. En fRance il n'y en a que dans certaines grandes villes et c'est moins bien payé.
- Tu verras c'est pas sorcier, suffit de bien suivre les consignes.

- D'ailleurs, je me demandais cela sert à quoi cette feuille ?

- Ça sert à noter l'ordre d'arrivée. Il faut toujours venir à l'avance pour être dans les premiers, car pendant tout le séjour, c'est dans le même ordre qu'on passe aux examens et qu'on reçoit les cachets.
- Je trouve ça dingue...
- Ça te surprend que partout où il y a de l'argent à gagner la compétition et la corruption soient là ?

- Non, mais que même pour vendre nos vies, il faille se battre pour être les premiers, c'est gore.

- La réalité est dure à encaisser, hein ?
- Tu parles, il y a pire, à la visite de présélection, le choc quand j'ai vu que toutes les personnes étaient «  des gens de couleurs ». Super le modèle d'intégration québécois. C'est toujours comme ça ?
- Cela dépend des études, en général ce sont surtout des immigrés, mais de tous horizons et aussi beaucoup de personnes plus ou moins en marge de la société... Tu serais pas un de ces étudiants contestataires ?
- Non, j'avais un permis de travail... mais il n'a pas été renouvelé et je n'arrive pas à retrouver un job. Je pensais que ce serait plus facile, en faite c'est plutôt la galère. En plus que je suis vraiment à sec, je risque de bientôt devoir faire le tour du poteau.
- Tiens, si ça peux t'aider, quand tu choisis une étude, ce qu'il faut vérifier, c'est le volume de sang qu'ils prélèvent. Il y aussi le type de phases à prendre en compte, le mieux c'est les phases 3, on reçoit moins d'indemnités, mais c'est beaucoup moins risqué. Il y a deux groupes, un avec le traitement et l'autre avec un placebo. Et si tu tombes dans celui là, c'est banco, tu es sûr d'éviter les effets indésirables.
- Merci c'est vraiment sympa, j'ai cherché vite fait un peu d'informations sur internet, mais je ne connaissais pas cela.
- Faut pas croire, si je suis un peu désabusé, c'est parce que des injustices, depuis que je suis môme, j'ai vu que de ça. L'exil, se sentir étranger, cela m'est plutôt familier. Je suis métis, ma mère ne voulait pas me donner un prénom autochtone, alors elle a choisit : « Geronimo ». Et même si des fois c'est dur à porter, elle ne pouvait pas mieux trouver.

Nous sommes des Abénaquis. Nos quartiers d'été étaient proches de la rive ouest du lac Saint-Jean. A l'age de 7 ans, j'ai été arraché à ma famille et placé de force dans un pensionnat. C'était l'horreur, là-bas, sous prétexte de nous assimiler, leur but était d'annihiler « l'indien dans l'enfant ». Ils nous endoctrinaient pour qu'on rejette notre culture. On avait interdiction d'utiliser nos langues pour parler. Dans mon pensionnat le taux de mortalité était à près de 25 %, mais à l'époque dans celui où ma mère avait été il approchait les 50%. La violence psychologique, les sévices et les agressions physiques et sexuelles étaient monnaie courante. J'ai réussit à survivre dans cet enfer jusqu'à mes 16 ans. Ma mère elle, elle est restée jusqu'à 21 ans, comme notre société est matriarcale, ils s'acharnaient bien plus sur les femmes.

C'est terrible quand encore enfant, tu découvres que dans ce monde, des hommes peuvent te séquestrer contre ta volonté sans que ta famille ne puisse rien y faire et tout faire pendant des années pour briser ton identité.

- Je comprends mieux, quelle horreur ! Et personne ne fait rien ?

- Si si, mais ça à mis du temps, plus d'un siècle, il a fallut attendre 1996 pour que le dernier pensionnat soit fermé.
- Aussi, je ne savais pas que les premières nations étaient organisé sur le modèle matriarcale.
- Il y a beaucoup de choses méconnues. On a fait passer les Anishnabes pour des arriérés, mais en réalité notre civilisation était plutôt avancée. Par exemple, avant de décider de donner naissance à un enfant, chaque couple allait prendre en compte les ressources dans la province, s'il y avait beaucoup de gibier et de bonnes récoltes cette année... Si ça t'intéresse, en décembre, je compte faire une présentation de l'histoire de mon peuple, après la projection d'un documentaire sur la crise d'Oka.

- Carrément.
C'est à la déferle, un lieu anarcho-social d'Hochelaga, regarde sur leur site pour la date exacte.
- Délire, je pourrai passer, j'habite justement dans ce quartier, je crois même me rappeler que quelqu'un de l'Achoppe m'a parlé de ce lieu. Quand je suis arrivé à Montréal je m'attendais à ce qu'il y ait des squatts. Sans espaces non marchants pour se retrouver ce serait invivable. Heureusement qu'il y a quand même des lieux alternatifs qui remplissent cet office.

Ensuite notre conversation a dévié sur la politique. Comment les hiérarchies sont à l'origine de l'incompétence des institutions. Pourquoi la représentation politique à l'ère d'internet est plus que jamais une spoliation du pouvoir en faveur des oligarchies mafieuses. En quoi l'exemple de la démocratie grecque qui permettait même aux mendiants de participer au vote des lois de la cité prouve que nous ne vivons pas dans des démocraties. La propriété instrument du vol organisé des ressources collectives. Geronimo m'a alors expliqué les subtilités du dispositif vicieux qui avait été mis en place pour que le gouvernement finisse par s'emparer de toutes les terres autochtones.
Sans oublier le cumul de la dette de tous les pays supérieur à la capacité de production planétaire qui démontre que les banques nous ont réduits en esclavage. Les gardiens de la loi qui protègent avant tout les inégalités sociales. Et pour finir la triste réalité d'une entreprise de pillage planétaire, l'exploitation capitaliste de la terre.


- On vit dans sur une planète aux ressources limitées, pourtant le système économique actuel fonctionne comme si on était sur une planète aux ressources illimités. Pas étonnant qu'on aille droit dans le mur.

- On a une vieille parabole qui résume bien la politique actuelle.

C'est l'histoire du vers, qui a mangé la dernière graine de la terre, au lieu de la laisser germer et avoir de quoi manger pour l'éternité, il n'a plus rien trouvé à manger.

- Je veux pas chipoter, à ma connaissance les vers en général ne mangent pas de graines.
- Peut-être bien que c'était une larve alors, tu sais, c'est ma grand-mère qui me l'a raconté en dialecte abénaquis.

On aurait sans doute aborder bien d'autres sujets passionnants, si on n'avait pas été interrompus par un bruit de clefs.

La porte de l'intérieur s'ouvre enfin. Le gars en blouse blanche qui vient d'arrivé à l'air très embarrassé.

- Bonjour, je suis vraiment désolé, la secrétaire n'a pas dû réussir à vous joindre. Normalement tous les participants devaient être prévenus par téléphone. Il y a eu un petit souci lors de la préparation de l'étude. Vous n'allez pas pouvoir rentrer ce soir car elle a été reportée d'une semaine.
- Ah, ben d'accord, super. Par contre, est-ce que c'est possible de nous ouvrir la porte ? On est bloqués là depuis tout à l'heure.
- Je ne comprends pas... décidément, rien ne marche correctement aujourd'hui.
Il tourne la poignée de la porte et surprise elle s'ouvre sans difficulté.

Je suis trop stupide, je n'ai même pas pensé à essayer d'ouvrir, cela ne devait être bloqué que de l'extérieur.

Après avoir remercié l'employé et salué Geronimo, je pars en direction de la station de métro.

Je ne m'attendais pas à de telles rencontres dans ce lieu. C'est un peu surprenant, après ce Dingue Dengue qui posait beaucoup de questions, de me retrouver enfermer avec quelqu'un qui semble partager pas mal de mes centres d'intérêts et mes orientations politiques. Mais il n'y a aucune raison que l'on cherche à me sonder. Et puis ce n'était même pas fermé. A la rigueur si c'était Dingue Dengue qui m'avait abordé, mais là, c'est sans doute juste le hasard qui fait bien les choses, autrement dit un simple phénomène de syncronicité, qui nous amène à nous rencontrer.

Il ne me restait plus qu'à espérer qu'il n'y ait pas d'autres problèmes la semaine prochaine.
Quand j'avais vu la publicité, je m'imaginais déjà avec les indemnités en poche, je pensais pas que ce serait un tel parcours d'endurance. J'en était à ce stade de mes réflexions quand j'ai réalisé que Vera n'était pas apparue une seule fois, comme si elle savait que je ne commencerais pas mon séjour ce soir .

En arrivant en bas des escaliers automatiques du métro, un immense mural que je n'avais pas remarqué à l'aller, attira mon attention. Trois bulles de bande dessinée flottaient à coté de la silhouette grise d'un chat. Avec ces phrases énigmatiques écrites dedans :

Toi aussi tu connais l'Impondérable.
L'Impondérable est une ombre, comme celle que la fée clochette détache de Peter Pan.

L'Impondérable peut prendre la forme de toutes choses, même celle d'un chat.

 

 


(A SUIVRE)


Lire d'autres écrits de Morne en attendant le prochain épisode dans un mois.